Comment êtes-vous devenu adaptateur ?
J’ai toujours été fasciné par les langues étrangères. J’ai suivi des études de lettres classiques (latin, grec, et anglais bien sûr) qui me destinaient à une carrière dans l’enseignement. Mais, déjà tout jeune, je m’amusais à comparer les versions originales et françaises des films d’animation, en écoutant les disques. Fasciné par la magie du doublage, j’ai rencontré Louis Sauvat, adaptateur historique de Disney. Très tôt, j’ai contacté le département publicité de Disney à Paris qui, un jour, m’a proposé le poste d’attaché de presse et d’assistant du directeur de la publicité. J’ai également été chargé de superviser les versions françaises des films, ce qui m’a permis de faire la rencontre de Anne et Georges Dutter, Claude Rigal-Anssous ou Fred Savdié, auprès desquels j’ai mesuré la difficulté mais aussi tout le plaisir du travail d’adaptation. J’ai ensuite été promu au niveau européen au bureau publicité de Londres en 1984. J’y ai passé deux ans avant de décider, lorsque la nouvelle direction américaine de Disney a décidé de remanier les équipes, de me lancer en free-lance dans l’adaptation, le meilleur moyen de m’accomplir.
Comment parvenez-vous à faire chanter aussi bien aussi bien nos héros ?
Je me suis familiarisé très tôt avec la musicalité de l’anglais, en vacances en Irlande et lors de séjours linguistiques en famille d’accueil en Angleterre et aux États-Unis. Mes deux années à Londres ont complété cette pratique. Mais le doublage ou le sous-titrage nécessitent avant tout une maîtrise du français, car il faut être capable de dire la même chose de quinze façons différentes avant de trouver la meilleure façon de coller à la musicalité et au synchronisme des phrases originales. Transposer un film d’une langue à une autre reste un travail créatif fascinant et je conserve toute ma passion pour le métier. Les chansons sont évidemment les plus difficiles à adapter car elles ajoutent aux problèmes de traduction les contraintes de la prosodie, des rimes et de la musicalité. Les gros plans sont aussi très souvent d’une difficulté absolue.
Comment travaillez-vous : plutôt solo ou en équipe ?
J’ai toujours aimé travailler seul, pour le plaisir et la responsabilité que ça procure. Je revendique ce travail de l’ombre, car nous devons nous faire oublier derrière notre adaptation. Le spectateur ne doit en aucun cas être gêné par le doublage ou même avoir conscience qu’il regarde le film dans une autre langue. Notre expérience ne nous empêche pas de nous remettre en question à chaque nouveau projet. Nous devons même veiller à ce qu’elle ne nous amène pas à user de trop d’automatismes ou de solutions toutes faites. Chaque film est un nouveau défi. Il est toutefois indispensable, en fin de course, d’avoir un regard extérieur sur notre travail. Nous le soumettons au distributeur et au directeur de plateau lors d’une « vérif » d’une journée, en studio, où nous interprétons tous les rôles. On opère les dernières modifications avant enregistrement, en espérant que les comédiens sauront respecter notre travail.
Et d’où travaillez-vous ?
J’ai débuté en studio, sur machine avec des copies 35 mm, à écrire sur les bandes rythmo… Puis sur des cassettes VHS, des DVD. Depuis 1987 et mon début dans l’activité, les évolutions techniques du métier permettent de travailler n’importe où, sur un portable, à domicile ou en déplacement, en étant relié au serveur informatique du studio de doublage. Le crayon et la gomme sont restés la règle jusqu’au développement de l’informatique ! Toute cette évolution s’est accompagnée, face aux risques de piratages, d’une multitude de pares-feux et de codes d’accès qui restent, à ce jour, une contrainte quotidienne.
Quelles sont vos relations avec l’IRCEC, comment avez-vous entendu parler de nous la première fois ?
Quelle que soit son activité, il est indispensable de penser à la retraite dès le départ, en cotisant au taux maximum. Sans être obsédé par cette perspective, il faut toujours avoir conscience que nous en dépendrons un jour. Ayant travaillé deux ans en Angleterre, j’ai par exemple racheté huit trimestres de cotisations à mon retour en France, pour la retraite de base.
J’ai connu l’IRCEC grâce au Syndicat national des auteurs et des compositeurs (Snac) et je cotise évidemment pour la retraite complémentaire depuis que j’ai atteint le seuil d’affiliation (ndlr. à partir de1989). Nous ne maîtrisons ni le nombre de films que nous adaptons, ni leur succès, par conséquent le volume de droits d’auteur que nous percevrons. J’ai à cet égard eu beaucoup de chance, et le fait que j’aie eu peu de contacts avec l’IRCEC prouve que la caisse fonctionne bien.
Que signifie pour vous « être à la retraite » ?
Même si j’ai largement réduit mes activités d’auteur, je continue à adapter deux ou trois films par an, tout en profitant de la vie et en privilégiant mes propres passions. J’espère pouvoir le faire tant ma santé le permettra, et qu’on ne me considèrera pas comme un has been. La retraite n’est pas une fin, mais le début d’une autre vie.
Photo d’archive personnelle publiée avec l’aimable autorisation de Philippe Videcoq (accompagné du sosie officiel de Johnny Depp), propos recueillis par Kandix. Le montage d’affiches utilisé dans l’infolettre d’octobre est réalisé par Kandix.
« Devine qui vient doubler ? » est un podcast dédié à la voix et au cinéma, réalisé par Vanessa Bertran. Retrouvez l’épisode dédié à Philippe Videcoq (cliquer ici) et la liste des films qu’il a adaptés en cliquant ici. En juin dernier, Philippe s’est vu décerner la Repliq, distinction remise par l’Union professionnelle des auteurs de doublage (Upad). Tout récemment, il a travaillé sur Blanche Neige (réal. Marc Webb), F1 (réal. Joseph Kosinski) et Les Quatre Fantastiques (réal. Matt Shakman), films sortis en salle en 2025.